Consommer avec Froderation...

Je me permets d'émettre un avis personnel sur la disparition de l'alcool au foyer. Je suis très triste de constater l'effondrement du système du foyer.

Tout un concept qu'il disait, tout un concept.

Je suis arrivé l'an dernier et mes yeux flottaient quand on me montrait les ardoises! QUOI!!! Les gens ici font preuve de suffisamment de valeur pour maintenir un bar en auto-gestion et s'offrir le LUXE de la souplesse du crédit. Et les alcools étaient (pour la plupart) de qualité et il était possible de se faire le palais. Le foyer prouvait quelque chose, qu'il pouvait rassembler des gens curieux et respectueux mutuellement, de vrais gentlemen. L'intérêt commun l'emportait sur les intérêts individuels, et l'autorité même, l'administration, abandonnait son pouvoir dans ce lieu tant tout le monde y trouvait son compte et tout le monde pouvait s'émerveiller de tant de liberté. Dans un autre cadre, la baraque aurait coulé en deux jours, cassée par des soulards et ruinée par les voleurs, sous l'oeil amusé de videurs fainéants. Mais, ici, ni soulards, ni voleurs, ni videurs... jusqu'au jour où...

Jusqu'au jour où j'ai dû prendre une décision personnelle à propos de ma réaction si les soulards et les voleurs finissaient par arriver aux portes du foyer. Devrais-je me transformer en videur et compléter le triptyque immonde ou devrais-je laisser l'autorité jouer son rôle très juste et surtout très confortable pour moi? Et j'ai cédé à la facilité, j'ai abandonné ma tâche de gentleman du foyer et je n'ai rien fait. La punition, la rancune et tout ce qui s'en suit n'était pour moi que l'affaire de l'autorité.

Je me trompais, c'est ma faute, ma très grande faute. La rancune était mon affaire. Seulement, c'est sale la rancune alors on la laisse aux autres et on se laisse aller. Et, de ne plus en vouloir aux autres, on finit pas ne plus s'en vouloir à soi même. Alors, tout le panache et le sacré, tout l'amour qu'on pouvait investir dans ce lieu se change petit à petit en haine et en indifférence, et les tasses restent bien plus sales, les grands coups dans les fauteuils deviennent beaucoup plus amusants et la dette sur l'ardoise bien trop supportable pour être payée. Et tout d'un coup, les avis des autres sur les bières exotiques n'a plus aucun intérêt, pas plus que sur tout autre sujet d'ailleurs. Le jouet est cassé. D'avoir trop tiré sur la corde, elle se rompt et plus personne n'est exalté par quoi que ce soit. Dans cette optique, l'autorité reprend ces droits et joue son rôle très juste. Comme on confisque un jeu à un chiard excité, les habitués du foyer sont contraints à la sobriété ! ET QUOI DE PLUS SAIN !

Nous avons échoué, tous, dans les devoirs que nous mêmes nous étions donnés et des gens plus sages que nous sont là pour que nous prenions conscience de notre défaite. Et cela est juste et nécessaire et la honte qui va avec n'est pas faite pour me plaire et ça ne me plaira pas, jusqu'au jour où...

Jusqu'au jour où une charmante jeune femme me suivra jusqu'au comptoir que j'aimais tant et ne remarquera pas les frigos vides quand elle me demandera un café que je prendrai le plus grand des plaisirs à faire avec toute l'attention que je trouverai. Et quand mon doigt tremblera suffisamment pour que je me trompe de bouton et rate le café le plus important de ma vie, je pourrai peut-être bien sentir le parfum subtil de la nostalgie de mes yeux qui flottait devant ce lieu, ces gens et toutes les histoires qui nous ont fait nous aimer un peu dans ce foyer. Dans ces gestes qui ne tiendront qu'à moi, je trouverai la mana nouvelle pour faire renaître l'idée qui me séduisait, le Concept.

Alors, n'oublions pas. N'oublions pas d'être en colère. En colère contre nous mêmes, avant tout.

Frod
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La Tartine n°33 - Répondre à cet article
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