Samy Nacéri vs. Salman Rushdie

Les rapports de stage ont le don de vous faire veiller. Mais le samedi soir, seul, on branche volontiers la télé, et quand on a pas canal+ on regarde Ardisson en serrant les fesses. Là je suis tombé dessus. Invité interviewé : Salman Rushdie pour son nouveau livre Shalimar le clown; invité interviewé auparavant mais qui reste comme un aimant sur le plateau et comme il est d'usage chez les Paris derniers : Samy Nacéri, pour je ne sais pas quoi, je suis tombé sur l'émission je vous l'ai déjà dit. Et au talentueux acteur de réagir violemment à l'exposé de M. Rushdie : Vous parlez toujours de terrorisme musulman musulman musulman, vous voulez pas changer de sujet ?, l'air piqué et le regard plein de haine. Au simple écrivain de répondre Je suis issu d'une famille musulmane, j'ai autant le droit de parler de l'Islam que tout le monde.

J'attends l'actrice porno qui va venir vendre un single alors je résiste. Et quand Salman Rushdie eut quitté le plateau en faisant remarquer à son hôte la rudesse de certains convives, Nacéri se lance dans une diatribe à l'endroit d'Ardisson : Tu touches pas à la Torah, au Coran ou à la Bible, ca appartient aux Juifs, aux Arabes et aux Chrétiens à quoi Ardisson répond [...] un journaliste peut critiquer Jésus Christ ou la Bible [je l'accepte], c'est ça la démocratie.

J'étais K.O., les mecs avaient pas seulement touché le fond, ils commençaient à creuser! Si bien que c'était Ardisson qui donnait des leçons de démocratie. Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu autant de saloperie à la téloche. Et le lendemain à Arrêt sur image un mec vient vendre un bouquin qui accuse les médias d'entretenir l'islamophobie. Ca et toutes les affiches qui traînent dans l'école m'invitant à venir prier avec Barbarin ou qui spéculent sur mes militantismes et qui sont signées avec les logos de groupes de gens dont on ne voit jamais un sympathisant, m'a donné envie d' interroger mes camarades et moi. N'avez vous pas l'impression d'être les témoins d'une réelle montée en puissance des haines, de toutes parts ? Je m'explique. Pour certains, qui ont télé sur rue, il n'est pas possible de parler de religion, donc de là à y réfléchir, on peut attendre. Pour d'autres, toutes les pratiques religieuses se valent et la prière du soir vaut le port du voile. Pour d'autres encore, il est très important de lutter contre le racisme et l'antisémitisme ou de ne pas faire d'amalgame entre les intégristes et les religieux ordinaires. Ceux-là se trompent et participent de la même escalade haineuse qui a les relents nauséabonds que l'on sait, ca sent le cuivre oxydé et le cirage.

Ils s'attachent à garder leurs étiquettes bien visibles, à bien montrer qu'ils appartiennent, à quelque chose, à quelques-uns, je ne sais pas. Et il s'installe ce qui s'installe le plus facilement, la peur. Le chemin entre la peur et la haine n'est qu'une question de temps. Je ne dis pas qu'il n'existe pas les peuples, les cultures, les religions et les différences, ils existent, c'est comme ça. En revanche, la différence entraîne de façon naturelle, presque pulsionnelle, le rejet. Notre travail est de lutter contre les rapports de force issus de ce rejet qui nous anime tous qu'on le veuille ou non. Pour cela, il y a la République, qui nous donne le LUXE de pouvoir faire comme si ces différences n'existaient pas, et cela quand on le veut. On mange des kebabs, du canard laqué, des hamburgers si ca nous chante, mais tout le monde va à l'école dans la même classe. Un citoyen n'est pas un vecteur, il n'est pas [couleur,religion,sexe]. C'est pas toujours facile, mais c'est là et d'autres ont donné leur putain de vie pour qu'on puisse croquer ce luxe! Alors je suis un peu surpris que des gens, et on en connaît certains, qui ont télé sur rue, mettent autant de coeur à décapiter Marianne. Je suis surpris de voir des gens préférer lutter contre l'antisémitisme plutôt que contre le racisme tout en appelant à un patriotisme juste dans le même discours. Ma réponse à ceux qui spéculent sur les engagements de la jeunesse est simplement de me demander si la propriété d'un drapeau sans politique n'est pas la fin de la politique. Le drapeau français, ni même l'identité française n'est pas le lieu d'un combat, pas plus que n'importe quelle autre appartenance. Je n'aime pas être fier d'une chose pour laquelle je ne me suis donné que la peine de naître. Que les gens s'attellent à s' entre-marquer ne rend pas la marque moins forte. La société française laisse les gens libres de célébrer le culte et la religion dans la sphère privée. Les communautés, religieuses ou revendiquant autre chose que des idées, n'ont pour moi aucune légitimité et leur droit de cité sur les murs de cette école m'étonne. Chacun est libre (mais pas chacune) de prier ou pas, de ne pas manger de porc ou d'en manger, de ne pas boire d'alcool (sauf au foyer), mais il me paraît difficile d'en faire une fierté...

Frod
forthous@ens-lyon.fr
La Tartine n°36 - Répondre à cet article
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