Du ski comme en hiver

Une nouvelle de GLau, sur une idée de GLau & Fanny, et une musique de Julien S.
(suite à un message de ce dernier, la rédaction précise qu'il n'a aucunement participé à cette nouvelle ni n'en soutient les idées)

Les cloches sonnaient...

Hmmm oui... Il était fort bon, ce petit pétard. Et le président du bde de l'Ens de Lyon - une école en pleine forme, en cet an de grâce 2048 - savait fort bien qu'il disposait, par sa situation, d'un stock quasi-illimité dans la limite du consommable humain. Limite qu'il parvenait toujours à reculer un petit peu plus au fur et à mesure que l'année avançait. Oh, mais bientôt, ça serait les élections, il tomberait de son piédestal; il était lucide sur ce sujet, ça serait le bon moment de faire une de ces cures de désintox magiques qui avaient révolutionné le XXIe siècle.

Par un beau matin d'hiver

Je décidai d'aller

Au ski pour la journée

Des affiches d'un bleu cerise beaucoup trop flashy, pensait-il, apparaîssaient un peu partout dans l'école. Gala de l'ENS-Lyon : Sur le toit du monde, disaient-elles, tandis qu'une surfeuse en string dévalait une pente en forme de...

...de, de... hmmm...

(il tira une petite latte de plus pour être sûr de ce qu'il voyait)

...sans aucun doute un sexe masculin en érection. C'était étonnant, il ne l'avait jamais vu consciemment comme ça; heureusement, les substances l'aidaient à grimper de niveau en niveau, et là, c'était beaucoup plus clair. La clarté...

Il continua sa promenade dans l'école encore déserte, sa petite pompe à ignifuger dans la main; n'oublions pas, se disait-il, notre Mission de la plus haute importance; si par hasard d'autres personnes venaient à fumer comme lui - probablement pas du tabac, quel intérêt? - et vu l'état des vigiles défoncés à la coke, on aurait vite fait de cramer 500 personnes bien plus raides encore.

Je commandai un forfait

Pour toute la journée

Du ski comme en été

D'un air décidé, il pchitta deux ou trois fois dans le vide pour appuyer sa dernière pensée, puis arriva au bar La Cîme. Les barmen s'affairaient aux derniers préparatifs : il fit prestement trois fois le tour du bar, avant de s'arrêter de l'autre côté pour examiner la marchandise. Pas d'alcool, oooh non, pas de cette saloperie, heureusement interdite depuis très longtemps. De très bons jus exotiques, oooh oui. Et surtout plusieurs caisses remplies de substances venues d'un Coin de l'Inde et du Monde, qui en feraient planer plus d'un... Il trempa son doigt et le fit négligeamment traîner dans une boîte au contenu farineux, puis se dressa brusquement et se brossa les dents avec vigoureusement, puis repartit.

J'allai vers un télésiège

Je montai sur un siège

Commençai mon ascension

Il se rendit vite compte qu'il avait pris beaucoup trop d'un coup; il ne voyait plus du tout ce qu'il se passait devant lui, mais derrière; il voyait le bar qu'il venait de quitter, et quand il avançait, le bar reculait, en même temps qu'il était soumis à une isométrie dont il n'arrivait pas à déterminer le sens, ni l'espace - en tout cas, ça devait être en dimension infinie.

Bref, bref, le Devoir avant Tout, et Rien à Cirer; il restait tout le reste du gala à brûler... enfin à arroser... d'ailleurs il fallait faire une pause pipi, et justement, la jungle était toute proche, de façon inexplicable d'ailleurs puisqu'il venait de quitter la cafétéria. Pisser, non pas à cause de ces bières que l'on buvait jadis, l'idée lui semblait étrange et répugnante; non, c'était le thé, enfin le space tea qu'il avait pris en s'arrêtant, ou plutôt en s'effondrant sur le bar montagne. Ce bar était merveilleux, il avait passé du temps à tout ignifuger; car les responsables avaient à leur disposition une quantité de neige d'une pureté qu'il n'avait jamais goûté au foyer habituellement, même pendant les réunions de Bonne Franquette. Les vaisseaux des narines explosés, il était parti de ce bar avec un espoir nouveau, et dans les poumons l'air frais des montagnes qui le piquait mais c'était bon, il en avait fait un câlin à un poteau qui passait par là, un grand moment de tendresse.

Pause pipi terminée, se dit-il allongé dans les fougères, il faut encore passer au bar rugbeux... promis, cette fois-ci, je ne goûte plus rien; les rugbeux, d'ailleurs, restaient les seuls à maintenir une hygiène de vie parfaite depuis l'arrêt de l'alcool il y quarante ans; mis à part quelques spifs de temps à autres, aucun d'eux ne touchaient quoi que ce soit de plus violent, et qui aurait été mauvais pour leurs compétences sportives. De ce fait, ils étaient un peu les rabats-joie de l'école, ne faisant jamais la fête. Nous soooommes le XIV de l'Enseeee-teux, nous aaaaallons jouer toute la nuit, chantaient-ils pendant leurs Nuits du Scrabble.

Mouais... finalement, qui irait au bar rugbeux? personne, il valait mieux aller au suivant; c'était le bar ENSki, qui proposait des sensations extrêmes. On attendait beaucoup de ce bar, étalage exceptionnel des inventions du club Chimiste, dont la légende disait qu'il était né des cendres du club Cocktail. Les chimistes s'amusaient à inventer des molécules qui feraient rire les neurones, disaient-ils, et c'était plutôt réussi... généralement. Lors des réunions de préparation, ils jetaient tous leurs déchets dans une grande marmite centrale et certains fous y tentaient leur chance; il en résultait des cas souvent graves, mais ça pouvait être la voie du nirvâna - une expérience unique, personne n'étant capable de reconstituer le mélange.

Je m'enfonçai dans la forêt

Et j'appelai les loups

Et les loups vinrent à moi

Le prèz ne savait plus trop s'il marchait ou pas; quoi qu'il décide, à présent, son corps réagissait autrement. Il parvint à diriger sa main pour prendre une dose de liquide ignifugeant dans le nez, ça le réveilla tout d'un coup, et lui rendit (temporairement?) la possession de son corps. Des idées oniriques prenaient place devant ses yeux et remplaçaient la réalité; s'était-il déjà demandé le pourquoi du rapport protozoaire de la cascade avec l'escalier? Protozoaire, protozoaire. Cet adjectif si joli n'avait probablement pas sa place dans ses phrases, mais il l'aimait bien. Pensait-il donc encore par mots, pour qu'il soit troublé par l'un d'eux? Radiateur protozoaire.

Les lumières s'éteignirent, il tomba. Elles se rallumèrent au bout de quelques secondes. Les premiers arrivants passaient l'accueil. Le prèz, première victime d'un gala enneigé, restait étendu près du dernier bar. La piste noire de l'Ecureuil.

Aimé Salobé

Aimé Salobé Yonoro

Ce n'est pas detchain

Aibé désfayé tcho odowa de bé...

La Tartine n°37 - Répondre à cet article
La Tartine