En jeans

Couloirs
De mort,
Foutoir
De porc.
Rue grise
Où brise
La brise,
Je dors.

Résidence :
Naît un bruit.
Existence
de la nuit.
Elle brâme
Comme une âme
Qu'une flamme
toujours suit.

La voix plus haute
Semble un grelot.
Et je sursaute :
Mais est-il tôt?
Dix heur'? M'enfin!
Quel sac-à-vin,
Dormir sans fin,
Ca n'est pas beau.

La rumeur approche,
L'écho la redit.
Je me sens moche
Mais n'ai pas choisi
De louper mon cours
De 8 heures : court
Sommeil, réveil lourd,
Je n'ai réussi.

Dieu! La voix terrible
Des femmes de ménage!
Il serait impossible
Qu'elles voient cette image!
Je me réveille à peine :
Bouteilles à moitié pleines
Et substances peu saines,
Ce ne serait pas sage.

C'est le grand balai qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Il faut ranger cette impasse,
Mégots par ci, vêtements
Sous le lit; le reste ira
Sur le balcon, et le froid
Les décontaminera;
La pluie lavera autant.

Elles sont tout près! - Tenons fermée
La thurne où la vie est honteuse!
Quel bruit dehors! Hideuse armée
De balais et d'eau savonneuse!
Au fait, je n'ai qu'un caleçon
Sur moi; il faut un pantalon;
Ce jeans! Vite, allons, enfilons,
Pour oublier ma tête affreuse!

La porte s'ouvre et la vaisselle reste!
L'évier déborde, la baignoire sent;
J'empile les plats en pyramide leste,
Dans le placard - il était juste temps!
La serpillère commence, travaille,
Rampe comme un serpent, vire, bataille
Contre les débris; sa progression raille
Mes piètres esquives au dernier moment!

Sur le lit! C'est mon seul espoir,
Je me blottis en jeans, transi
Devant ces sacrés encensoirs!
Suis-je dénoncé à Sylvie?
Je ne peux qu'attendre et prier.
La salle de bain est nettoyée,
Le sol brille de l'humidité.
La porte ferme dans un bruit.

Elles sont passées! - Leur cohorte
S'envole et fuit; le balai
Cesse de battre ma porte
De ses coups brefs et mauvais.
L'air est plein d'une odeur belle,
Comme du La Croix citronnelle,
Un produit à la javel.
Fragrance douce se fait.

Les bruits se font loitains,
Le battement décroît.
Si confus chez les voisins,
Si faible, que l'on croit
Ouïr Bison-pepito
Crier incognito
Qu'il voudrait du porto
Et du thé pas froid.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Un beau chant arabe
Sans aucun effort.
C'est Tony Garnier?
Non; en plus feutré;
Des pas éloignés,
Un bruit de ressort.

Femm' de ménage
S'en vont par là
De cage en cage;
Pressent leur pas
Chez tout le monde;
Ainsi, profonde
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Me rendort,
C'est la vague
Du remors;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une pinte
A ras bord.

On doute
La nuit?
Ecoute :
Je suis
La masse.
L'espace
Efface
Le bruit.

GLau,
un peu aidé par Victor
La Tartine n°40 - Répondre à cet article
La Tartine