Les moutons sont des animaux à poil laineux

Choeur : à poil laineux, à poil laineux, à poil!

(chant traditionnel alpin)

Il était temps qu'une Tartine célèbre la montagne, cette source d'inspiration éternelle - ne serait-ce que dans le domaine de la gastronomie : seule la grandiose solitude des monts arides a pu faire naître les immenses chef-d'oeuvres culinaires de fin de rando que sont, par exemple, la purée mousseline au lait concentré sucré ou le couscous au muesli. Bien sûr, les esprits bassement matérialistes objecteront que si on avait pris assez de lait en poudre et évité de crever le sac de semoule... Foutaises. Ce serait négliger la pure joie de la découverte et le goût de l'expérience - comment expliquer autrement l'association sandwichique gruyère-thon-nutella? Quoi, le thon? C'était un thon péché dans le lac Léman, voilà!

Soyons sincères : un seul autre cadre naturel a-t-il su élever l'âme du poète comme celle du financier, émerveillé des milliers d'enfants pendant que les parents s'éloignaient discrètement mais néanmoins promptement, permis d'a bandonner autant de chiens, de charcuter sous couvert de régulation des populations autant de chamois, attiré des générations de géologues empressés de prendre en photo leur marteau ou leur crayon, tels des japonais frénétiques la tour Eiffel? Non, vous dis-je, non! Homme libre, toujours tu chériras la fondue disait déjà Van Gogh, avant de se couper l'oreille en se rasant avec un piolet pour faire rire les hordes de néerlandais déferlant périodiquement sur nos pistes. Quoi, la mer? Mais elle n'a jamais inspiré que des oeuvres mineures, la mer! Debussy, ce compositeur d'opérette? Fi. Nique ta mer, comme dirait Joey. Les marines de Van de Welde? Des gribouillages. Je préfère les toiles des neiges. Hugo aurait-il pu écrire Les Travailleurs de la Montagne sans la présence féconde et maternelle des sommets enneigés? Où, sinon au coeur de l'Himalaya, Jules Verne eut-il pu composer cet immense hymne à la beauté des cimes qu'est Vingt Mille Lieux sus les Terres? Même Herman Melville, marin convaincu, doit sa plus grande oeuvre à la muse alpine (de bouquetin). En effet, saisissant un matin de 1850 son stylo, il se couvrit les mains d'encre et jura : Maudit Bic !. Est-il besoin de rappeler qu'à partir de cette date il n'utilisa plus que des stylos Mont-Blanc? (qui est le con qui a mis de bouquetin?)

L'Histoire aussi apprécie l'altitude : même les plus terribles des batailles navales n'ont pu atteindre la sérénité montagnarde. Le suisse, comme ses vaches et son chocolat, est pacifique (pour le coucou, proche cousin du fourbe réveil, c'est moins net). Hannibal, ça compte pas (encore que l'on peut saluer son initiative ambitieuse de réintroduction du dahu géant gris avec une trompe dans son milieu naturel).

En vérité, je vous le dis, mes bien chers frères, utiliser ce type de formule d'introduction n'apporte rien à ma phrase. D'ailleurs je ne sais plus ce que je voulais dire. Bref. L'histoire, les Arts, les parents infanticides par légitime défense en attendant l'avortement rétroactif et les crétins carencés en iode aiment la montagne. Que dire des Sciences, de leur côté? Réfrigérateur, pour commencer. Mais surtout, rappelons le rôle décisif qu'eut l'influence pyrénéenne (tu peux toujours essayer de mettre de bouquetin, là, p'tit con) sur la biologie moderne. Comment aurait-on étudié les moeurs et le métabolisme (ah, ah, j'ai réussi à placer un mot de la liste noire des bio) du gypaète barbu, de la cougourde de Patagonie et du sous-navet mordoré sans leur environnement? 80% des membres du club chartreuse ne cachent pas une certaine sympathie pour la flore d'altitude.

Les technologies ne sont pas en reste, elles qui permettent par exemple l'amélioration esthétique des versants par l'implantation de magnifiques complexes hydroélectriques ou encore de splendides remontes-pentes (car il faut bien reconnaître que la montagne serait fade sans béton ni pylônes). Vraiment, la montagne est célébrée par tous. Elle n'a pas son pareil pour émerveiller les adolescents, comme le dit prosaïquement ma s\oe ur Salomé : J'ai froid, j'ai pas pris d'musique, ça sert à rien de monter pour redescendre, et on va encore mal dormir sous la tente. Et merde, il commence à pleuvoir ! ...au moins on crèvera pas de soif cette fois. Que serions-nous sans les sports que nous prodigue le relief? Secs. Oh, ça va Salomé, je t'ai laissé parler une fois, n'en profite pas. Je disais : comment pouvons-nous vivre en plaine, sans l'exquise exaltation de grimper aux rideaux (de glace)? Las, la vie est triste ici bas, je ne saurai la supporter plus longtemps. Je vous laisse donc, j'ai l'ascension d'un mont de Vénus à réaliser.

Corte Maltose alias Rémige

La Tartine n°46 - Répondre à cet article
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