Allons enfants de la patrie, le jour de Gloire est arrivé...

Qui ne connaît pas le début de la Marseillaise? Mais toi qui me lis, as-tu vraiment eu un jour l'impression qu'il t'était destiné? As-tu vraiment ressentit dans ton sang et dans ta chair (oui, je suis une biologiste, mais aussi géologue refoulée) le sens profond de cette petite phrase? Permets moi d'en douter. Je t'imagine passer à une autre article, agacé, irrité peut-être, qu'est-ce qu'un article patriote vient faire dans la Tartine Montagne? Eh bien détrompe toi, car ce texte va parler de montagne, de montagne et de ski, et de grand ski même. Alors ouvre grand les yeux, assieds toi bien à l'aise dans l'amphi (bio, Schrödinger, A, I, K ou encore au RU) et laisse ton esprit s'évader... aux Grands-Montets.

Les Grands-Montets, c'est un nom mythique, la mecque de la grande glisse à Chamonix, la capitale mondiale du ski et de l'alpinisme pour situer. C'est aussi un rendez-vous d'habitués, de montagnards, des vrais. Parce que si le premier tronçon mène à Lognan, le départ des pistes pour tous, le deuxième téléphérique est un passeport pour la haute-montagne, cet autre monde cruel, impitoyable, mais bouleversant de beauté qui attire irréversiblement, peut-être justement à cause de cela, parce que quoi qu'on dise, c'est toujours la montagne qui décide.

Ce qui surprend au premier abord, c'est la queue les jours de grand beau qui peut aller jusqu'à plus d'un heure d'attente! Et plus étonnant encore, la bonne humeur dans cette queue~: Hé Fraaaaaanco! ça va l'italien!, Salut Laure! En congé?, Arno! T'es déjà monté? Ca passe comment les Glaciers, et les couloirs?, Monstre neige dans les couloirs, faut faire gaffe à droite du Rognon, c'est vachement ouvert.... Parce que comme je l'ai dit, les Grands-Montets ont leur lot d'habitués, parce que c'est mythique, aussi parce qu'il n'y a pas beaucoup de benne comme celle-là. Mais ce qui surprend le plus, c'est qu'il y ait la même queue à 8h45 le matin, pour la première benne (où tous ne rentreront d'ailleurs pas). Et ce qui est encore plus surprenant c'est la fébrilité qui se dégage de la foule. Comme si ces gens avec leurs pantalons de ski plus ou moins usés rongeaient leur frein, comme si ils n'en pouvaient plus. Si on regarde mieux, ils ont soit des skis de freeride, soit carrément les fat, pour la grande poudre. Et là, je sens que tu commences à comprendre. Lève la tête, il fait grand beau, il a neigé toute la semaine, enfin! enfin parce qu'on y croyait plus après ce début de saison pourri (il faut bien le dire~: pas de neige, glacier trop ouvert pour y aller et neige dure). C'est le jour que tous attendaient depuis le début de la saison, le jour de grande poudre. Et la je sens que tu comprends~: le jour de gloire est arrivé. Car c'est ça, c'est ça qui fait que tout le monde s'est levé tôt, qui fait que les gens ont le regard tourné vers le bout des câbles du téléphérique sur le quai rempli en 5 min. Le cabinier (Sylvain, Marc ou Stan que tout le monde salue avec des gros sourires de gars bien contents) ouvre les portes et tout le monde s'engouffre, mais pas si vite... parce que c'est à celui qui rentrera le dernier... pour sortir de premier! Finalement, entre les guides, les potes en congé, les gens d'ici, et les autres, on arrive à partir à 60, sac à terre, l'ARVA en position émission. La benne aux vitres griffées par les skis s'élève avec son son si caratéristique dans le petit matin alors que le soleil n'est même pas encore sortit de derrière les montagnes. Tout le monde discute avec la bonne ambiance de refuge pendant qu'on passe P4, le pylône vertigineux de 64m sur un piton rocheux, tout le monde a hâte. Et à l'arrivée dans la gare à 3300m, c'est le rush. Pourquoi sortir en premier de la benne? Parce que juste après la terrasse de chez Karim qui tient la petite cabane suspendue et qui nous fait les tartiff, il y a les escaliers. Et ça, c'est 300 marches gelées raides en ferraille, le cauchemar des touristes, à descendre en chaussures de ski les skis sur l'épaule. Nous, on fait la course une marche sur deux en courant ou le cul sur la rampe. Parce que les Grands-Montets, ça se mérite. Et là... tout le monde s'arrête. Parce que c'est beau à couper le souffle. Un petit vent fait chuinter la poudreuse vierge qui brille au soleil, derrière nous la chaîne du Mont-Blanc se détache au loin sur le ciel déjà bien bleu, à droite, le cirque du glacier d'Argentière est fermé par le Dolent, une pyramide à la frontière de la Suisse, l'Italie et la France, ce glacier qui s'écoule perpendiculairement à notre pente de départ, vers la gauche, jusqu'au village. D'ici, la vue est déjà de taille, du haut de la pente bien raide qui nous attend au-dessus du glacier encerclé par les murailles du Chardonnet, des Droites, des Courtes... Ce sentiment si particulier nous prend, on échange des sourires entendus... et comme par magie, les skis commencent à crisser sur la neige et le petit mur résonne de nos cris de plaisir, la poudre enfin, jusqu'aux genoux, et cette vitesse, grisante, jusqu'aux filets et au panneau~: attention, ski hors-piste à vos risques et périls. Nous voilà prévenus.

Une traversée latéralement et nous voilà dans un autre monde, face à des séracs de plusieurs mètres de hauteur, suspendus au-dessus du glacier. Si l'un d'eux cède, nous pourrions être écrasés en quelques secondes. Mais il suffit de lever les yeux pour se rendre compte qu'on est au beau d'une féerie de glace, de crevasses aux lèvres aigues et bleutés, d'explosions de blancheur éclatante. Un regard et le premier s'engage dans le petit passage sans cesse remanié menant à un pont entre deux crevasses qui nous permettra de descendre jusqu'au glacier. Il faut y aller un par un, car si le pont a l'air de tenir, il pourrait aussi s'effondrer et nous précipiter dans ces gouffres d'un bleu intense. A la verticale, l'Aiguille Verte domine depuis le couloir couturier qui plonge directement sur nous, vertigineux, prolongé sur la crête par les arêtes tranchantes, magnifiques et impitoyables. Tout semble bouleversé dans le chaos des séracs mais pourtant, tout est à sa place. Tout le monde se tait, parce que tous les mots ne sauraient décrire ce spectacle, parce qu'on ne peut que s'incliner devant une telle perfection. Et tandis que nous gagnons le glacier principal, nos traces se font plus précises, comme pour ne pas abîmer cette neige immaculée et pure. L'homme ne pèse pas bien lourd en de tels lieux. Au bas du couloir, le paysage est lunaire, une étendue plane sur 10km depuis le Dolent jusqu'à la cassure, passage un peu plus fréquenté parce que facile d'accès. Les murailles s'élèvent de 1000 à 2000 mètres au-dessus de nous, nous sommes seuls au milieu de nulle part, avec pour seuls compagnons les choucas, ces oiseaux de montagne noir à bec jaune qui nichent à 3500m d'altitude, et qui volent haut dans le ciel en prenant les courants et poussant de temps en temps, une trille aigue. Mais il ne faut pas trop s'attarder car l'émerveillement peut-être fatal, si la neige chauffe trop. Alors c'est en partant en trace directe sur le plat immense que nous revenons vers la cassure, le passage des crevasses plus fréquenté, passe assez facile finalement. Mais là encore, malgré les gens, ce sont les lames de glaces de plus de 3m de hauteur qui fascinent, colorées de tous les ton de bleu, luisantes au soleil. Une crevasse à sauter, une trace directe, et le dernier passage enfin nous enchante, suspendu au-dessus du chaos des pics, séracs et morceaux de glace appelé la cathédrale au niveau de la chute du glacier. La trace se prolonge de l'autre côté de la crête pour retomber... sur les jalons noirs de la piste. Il faut un moment pour se remettre à descendre, les étoiles plein les yeux, jusqu'au départ du téléphérique qui semble si bruyant. Car même si nous somment revenus, une partie de nous est restée là-haut. La journée se terminera par la dernière benne, un vin chaud chez Karim, alors que les ombres s'allongent au-dessus des montagnes. Le dernier run dans le soleil de la fin d'après-midi, par la face cette fois, une pente raide où la vitesse nous donne l'impression de voler clôturera une journée idyllique. Si toi aussi tu veux un jour voir du vrai, du grand, viens au Grands-Montets. Il y aura toujours des gens d'ici pour t'expliquer, t'enseigner la montagne si tu sais te montrer assez humble. Mais n'oublie jamais cela si tu décides de t'aventurer au-delà des limites, il faut une connaissance du terrain glaciaire pour pouvoir y évoluer, les guides sauront t'y amener et te le faire découvrir.

Et quand bien même tu serais expérimenté, c'est toujours la montagne qui décide. Elle prend parfois des gens qui pourtant la respectent et savent être en osmose avec elle. Elle a gardé mon copain il y a tout juste 4 ans, le 24 février alors qu'il passait les lames de glace, à un endroit facile. Il était portant aspirant guide et accompagné d'un de ses amis guide chevronné. Il venait d'avoir 20 ans et s'appelait Nicolas.

Alexa
La Tartine n°46 - Répondre à cet article
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