The mutant... that wasn't

Les scénaristes et les écrivains aiment la biologie ; les biologistes, eux, viennent d'une autre planète (néanmoins plus proche du système solaire que la comète DMI). Où veux-je en venir? Les faits parlent d'eux-mêmes:

Quatre innocentes tortues pataugent dans une substance verte fluorescente: elles deviennent des tortues-mutantes-ninja-avec-des-noms-à-consonnance-quasi-japonaise. Elles parlent, mangent des pizzas (plus que Cissou!!), et combattent le mal.

Quatre innocents jeunes gens subissent une tempête solaire, et, pour des raisons inexpliquées, au lieu de griller sur place, sont mutagénisés. Ils s'étendent indéfiniment, combustionnent spontanément, sont invisibles, développent une force surhumaine malgré une peau à problèmes, et combattent le mal.

Un innocent geek se fait inconsidérément piquer par une araignée mutante: il devient beau, musclé, clairvoyant, saute à 20 mètres sans les mains, projette des toiles d'araignées par tous les pores, embrasse des filles la tête en bas, et combat le mal.

Dans un proche futur, l'espèce humaine a évolué, et des mutations étranges sont apparues: un nucléotide ou deux modifiés, et vous passez à travers les murs, transformez l'eau en glace, récupérez instantanément d'une blessure, commandez le fer à volonté, et selon le bon vouloir du scénariste, vous faites le mal ou vous le combattez (le plus grand mal restant la discrimination dont vous souffrez de la part des humains wild type).

Je continue? Il n'en est nul besoin, car vous touchez déjà du doigt la tristesse de la Bio réalité, et je vous entends d'ici Heureusement que les scénaristes ont plus d'imagination que la Nature, parce que l'attaque des souris mutées sur UNC5 qui ont des problèmes de coordination et des neurones ectopiques dans le cervelet, c'est moins sexe que les super pouvoirs. Au diable les rigueurs scientifiques, laissons la plèbe imaginer qu'une mutation égale un troisième oeil au milieu du front.

Soit. Laissons-les même rêver d'une vie extraterrestre sous une forme qui rappelle irrésistiblement l'un des rares plans d'organisation métazoaires de la planète Terre, quand elle n'est pas d'un anthropomorphisme flagrant (par là j'entends une tête, des membres en nombre pair, et une intelligence que nous pouvons appréhender parce qu'elle suit les mêmes lois). Laissons les penser que science + vert = danger (cf l'incroyable Hulk, les petits hommes verts, et les indémodables produits radioactifs fluorescents des Simpsons ou de Smallville).

Car dans la triste réalité que j'évoquais plus haut, la conséquence principale des mutations est un cancer carabiné (sort qui attend environ le tiers d'entre nous), quand votre système de réparation de l'ADN sera dépassé par les dites mutations et que vos gènes de régulation du cycle cellulaire pèteront les plombs. Certes, c'est moins drôle que la vision d'artiste.

Et moins drôle, de mon point de vue, que des gens qui blêmissent en entendant les trois lettres fatidiques d'OGM et courent acheter la crème de soin vue à la télé qui contient de l'ADN natif de plante à l'incroyable pouvoir régénérant. Car se doutent-ils que l'unique et purement hypothétique moyen pour cet ADN végétal de leur redonner un teint aussi velouté que la fille photoshopée de la pub serait d'être exprimé par leur cellules? Ce qui, sans vouloir jouer sur les mots, ferait d'eux des OGM.

Bien entendu, les biologistes font quand même des expériences inquiétantes dans des laboratoires secrets ultra modernes financés par l'Etat, ou, horreur, l'armée, et produisent des mutants comme dans les films. La déception, c'est que les mutants sont souvent d'une banalité affligeante: non viables, affectés d'un phénotype aux antipodes des super pouvoirs mais qui ressemble à une maladie dont on aimerait bien débarrasser les humains, ou tout simplement moches (ben oui, une plantule chlorosée d'Arabidopsis, vous savez...).

Je ne tenterai donc pas d'expliquer pourquoi la Nature a déjà fait bien mieux que tout ce que l'Homme a jamais pu imaginer, de l'émouvant ballet des cellules lors de la gastrulation à la palpitante course aux armements entre les virus et le système immunitaire, en passant par l'incommensurable diversité des formes de vie sur Terre. Il reste quand même que la réalité biologique n'est pas si triste si on accepte de regarder à nos pieds avant d'aller sur Mars, et de quitter la branche la plus externe qu'on se réserve immanquablement dans les arbres phylogénétiques.

Et il reste enfin de bons auteurs de science plus ou moins fictive qui nous forcent à réfléchir, et de riches ingénieurs agronomes qui vous vendront sans doute des poissons d'aquarium vert fluo parce qu'ils exprimeront la star des labos, la Green Fluorescent Protein, voire, dans quelques années supplémentaires, les animaux vivants miniatures des BDs de Bilal.

Des formulaires d'inscription au comité Sauvons les biologistes vous seront donc envoyés - ou pas - dans les prochains jours, et une Tartine future vous dira pourquoi le Gulf Stream s'éteint en trois jours ou pourquoi un labo de chimie est toujours rempli de bocaux contenant des substances fumantes ou colorées.

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La Tartine